Appel à communications
Colloque Faculté Libre d'Etudes Politiques et en Economie Solidaire (FLEPES)
16 octobre 2025 - Paris sud (92)
Vulnérables
Enjeux éthiques, pratiques professionnelles
et perspectives critiques en sciences sociales
La Faculté Libre d’Études Politiques et en Économie Solidaire (FLEPES) lance un appel à communication pour son événement de rentrée 2025-2026 centré sur le thème des vulnérabilités. Ce colloque Vulnérables, Enjeux éthiques, pratiques professionnelles et perspectives critiques en sciences sociales s’inscrit dans la vocation de la Flepes à ouvrir des espaces de réflexion, de partage d’expériences et de production de savoirs ancrés dans les enjeux actuels de l’action sociale et de l’économie solidaire.
Présentation générale du colloque
Fidèle à l’approche de la Flepes, cette journée se veut ouverte à toutes et tous, interdisciplinaire et décloisonnée, croisant les apports des sciences sociales et en intervention sociale. La Flepes valorise donc un format hybride, à la croisée des savoirs et des pratiques : il accueillera à la fois des chercheuses et chercheurs dont les travaux abordent le concept de vulnérabilité et les processus de vulnérabilisation, que des professionnels et personnes accompagnées ou engagées dans des initiatives locales souhaitant partager une expérience originale d’accueil, d’accompagnement et de prévention de la vulnérabilité.
Cet appel invite à explorer les multiples facettes de la vulnérabilité – sociale, économique, relationnelle – et à questionner les réponses que peuvent apporter les acteurs sociaux, les professionnelles et professionnels des organisations collectives, les personnes accompagnées, les politiques publiques et les initiatives locales, ainsi que les manières dont la vulnérabilité continue d’interroger notre bestiaire théorique traditionnel. Le colloque propose de mettre en débat une question transversale à l’ensemble des contributions attendues : comment la vulnérabilité interroge les présupposés des conceptions de la justice sociale, de la responsabilité et de l’autonomie individuelle ? Cette question articule les trois axes du colloque – enjeux éthiques, pratiques professionnelles et économie solidaire – et ouvre un espace interdisciplinaire d’analyse critique sur les formes de vulnérabilisation et les réponses sociales, sociétales et politiques qui y sont apportées.
Enjeux éthiques
La vulnérabilité est souvent perçue comme un état individuel de fragilité. Les travaux en sciences sociales ont montré que cette définition descriptive relève déjà d’une présupposition questionnable : celle de considérer la vulnérabilité comme un manque individuel à corriger. Pourtant, de nombreux courants éthiques affirment au contraire que la vulnérabilité n’est pas une faiblesse à compenser, mais une dimension constitutive de notre condition humaine, caractérisée par notre interdépendance et corporéité – ce que Marie Garrau appelle « la vulnérabilité fondamentale » (2018).
Cette reconnaissance « fondamentale » continue de nourrir aujourd’hui d’importants débats interdisciplinaires, notamment dans les champs de l’action sociale et de solidarité fondés sur l’éthique du care. De fait, une approche centrée sur la responsabilité individuelle ne saurait suffire : il s’agit de repenser les normes de justice et de redéfinir les catégories morales et politiques classiques précisent Brugère et Laugier (2011). Marie Garrau et Alice Le Goff (2010) articulent, quant à elles, les concepts de care, de justice sociale et de dépendance, en montrant comment les interdépendances humaines doivent être reconnues comme base de la démocratie contemporaine.
Le colloque pourra interroger la manière dont les professionnelles et professionnels, les institutions et les politiques sociales perçoivent cette « vulnérabilité fondamentale ». Cette complexité conceptuelle – « individuel vs ontologique » – est-elle travaillée dans les espaces professionnels ou formatifs ? Est-elle normalisée ou invisibilisée ? Les dispositifs comme les comités d’éthique mis en place dans les établissements médico-sociaux permettent-ils d’en traiter la portée théorique, relationnelle et politique ? Les recommandations des Agences Régionales de Santé (ARS) en France ont conduit récemment de nombreuses structures médico-sociales à impulser la formation de leurs professionnelles et professionnels quant aux enjeux éthiques des pratiques, notamment par la mise en place de comités d’éthique intégrant les publics concernés ainsi que les partenaires institutionnels. Mais ces dispositifs permettent-ils réellement de mettre au travail la complexité des approches des vulnérabilités dans les pratiques quotidiennes ?
L’étude contemporaine des « vulnérabilités problématiques » (Garrau, 2018), alors nommées au pluriel, nécessite de déplacer notre point de vue sur des situations d’injustices structurelles. Les vulnérabilités ne sont dès lors pas uniquement considérées comme individuelles ou ontologiques, mais aussi comme le résultat de rapports sociaux de domination. Il réside dans cette analyse une forme de renversement du rapport causal : ce ne sont pas les vulnérabilités qui créent les inégalités, mais les inégalités sociales qui produisent davantage de vulnérabilité. Cette lecture rejoint alors les théories critiques (Butler, 2004), postcoloniales (Spivak, 1988), féministes (Gilligan, 1982 ; Tronto, 2012 ; Laugier, 2009), ainsi que les travaux de Nancy Fraser (2008), qui proposent de penser la justice sociale à l’intersection de la redistribution, de la reconnaissance et de la participation. Ces approches remettent en cause le modèle libéral de justice fondé sur une conception abstraite et distributive de la justice, soulignant ainsi les inégalités d’accès aux droits, à la reconnaissance et aux ressources quant au regard de positionnements hiérarchisés. Dans cette perspective, Axel Honneth (1992) théorise la vulnérabilité comme une conséquence du déni de reconnaissance, généré par des formes d’injustice sociale souvent institutionnalisées.
Enfin, la vulnérabilité peut être lue au prisme du concept de risque, non plus comme un état objectif, mais comme une exposition potentielle à un dommage, modelant les représentations collectives, politiques publiques comme les logiques d’assurance ou de prévention. Cette littérature analyse alors davantage l’émergence du « sentiment de vulnérabilité » – des risques qui rendent vulnérables, mais de façon inégalitaire (Beck, 1986). Cette approche est devenue centrale dans les sciences sociales et humaines (voir, notamment, MacKenzie, 2014 ; MacKenzie et al., 2014 ; Garrau, 2018), en permettant l’analyse des conditions dans lesquelles les individus et les groupes sont exposés à des risques sociaux, économiques, politiques ou environnementaux, au-delà des situations d’inégalités formelles de droits et de dominations. L’existence de la vulnérabilité remet en question non seulement une partie de nos concepts, mais également les présupposés de certaines politiques publiques.
Ce colloque interroge dès lors les ressources à même de prendre en charge la vulnérabilité des individus, notamment via la liberté d’association, le mutuellisme et l’autonomie locale, qui pourraient répondre au défi de la vulnérabilité alors entendue comme l’exposition à des risques, voire des dommages liés à des facteurs tels que la précarité économique, sociale ou environnementale. Des propositions de communication au colloque pourraient par exemple questionner la liberté d’association en France et contribuer à réduire les vulnérabilités, la manière dont les formes d’association (associations, syndicats, collectifs citoyens) renforcent la capacité des populations vulnérables à faire valoir leurs droits ou à accéder à des ressources. Elles pourraient tout autant s’interroger : quels obstacles (juridiques, économiques, sociaux) freinent le développement de la liberté d’association ou de l’autonomie locale dans la lutte contre la vulnérabilité ? Comment concevoir des initiatives mutuellistes ou autonomes qui évitent de reproduire ou d’aggraver les disparités existantes ?
Dans un contexte de transformation des pratiques professionnelles du travail social et de l’économie sociale et solidaire (ESS), la question de la vulnérabilité s’impose comme un enjeu central.
Économie solidaire, liberté d’association et gouvernance territoriale
La vulnérabilité peut également être appréhendée comme un processus sociétal résultant des transformations contemporaines, principalement dans les sociétés dites « modernes ». La vulnérabilité peut alors être relue à la lumière des transformations sociales associées à la « condition postmoderne » (Lyotard, 1979). Des chercheurs comme Robert Castel (1995), Serge Paugam (1991) ou encore Jean-Pierre Haesler (2001) soulignent combien ces mutations fragilisent les liens sociaux en renforçant la solitude, le consumérisme et une forme d’autosuffisance contrainte, le repli sur soi ou le désengagement des structures étatiques. Dans ce cas, la vulnérabilité contribue à produire ce que Castel nomme des « zones de vulnérabilité sociale », situées en amont du processus de désaffiliation. Ces problèmes interrogent les cadres institutionnels et théoriques à même d’offrir une réponse satisfaisante, notamment pour produire les conditions matérielles générant les capabilités des personnes (Sen, 1999 ; Nussbaum, 2013). Ces réponses peuvent requérir une intervention directe de l’Etat, ou bien reposer plutôt sur des démarches décentralisées, portées par l’économie sociale et solidaire, au moyen de l’action associative et mutuelliste.
Les propositions de communication sont invitées à réfléchir au rôle que jouent ces formes collectives dans la lutte contre la précarité et l’exclusion, à la fois comme réponse à des manques institutionnels, mais aussi comme leviers de transformation sociale. Étudier les vulnérabilités, c’est ainsi observer à la loupe les dynamiques de désolidarisation, mais aussi les modes de reconfiguration de l’action sociale et solidaire : comment les collectifs s’organisent-ils collectivement pour atténuer la vulnérabilité ? Comment les communautés autonomes développent-elles des solutions adaptées à leurs besoins spécifiques pour surmonter des défis locaux ? Quels exemples historiques ou contemporains illustreraient le rôle de la liberté d’association dans la création de solidarités face à la précarité ? Dans quelles conditions les initiatives mutualistes – coopératives, mutuelles, collectifs – parviennent-elles à renforcer la résilience face aux crises (santé, emploi, logement) et à inclure les publics les plus marginalisés ?
Les tensions qui émergent entre dynamiques associatives et pouvoirs publics interrogent la manière de concilier solidarité volontaire, justice sociale et gouvernance partagée ; elles invitent à porter un regard attentif sur les formes collectives de solidarité, qui permettent d’éclairer les enjeux de médiation et de reconnaissance au cœur des pratiques professionnelles dans le champ de l’action sociale et solidaire.
Pratiques professionnelles de l’action sociale et solidaire
Dans les pratiques professionnelles du travail social et de l’économie sociale et solidaire (ESS), la vulnérabilité est une réalité quotidienne autant qu’un enjeu conceptuel. La Flepes souhaite interroger la manière dont les professionnelles et professionnels, les institutions et les structures collectives composent avec la vulnérabilité (et leur vulnérabilité) au quotidien : comment ces professionnels appréhendent-ils cette vulnérabilité ? Quels sont les leviers pour mieux reconnaître les savoirs d’expérience ?
Du point de vue de l’accompagnement des publics, les vulnérabilités pourraient être interprétées en miroir de l’agentivité : elle permettrait alors de mesurer l’écart entre une situation vécue et les ressources disponibles pour y faire face. Ainsi, moins une personne dispose de leviers pour comprendre, choisir, négocier ou transformer, plus sa vulnérabilité s'accroît. La vulnérabilité est ici perçue comme une absence de pouvoir. Néanmoins, certaines approches récentes soulignent au contraire qu’elle coexiste avec des formes d’agentivité, parfois discrètes ou contraintes, mais néanmoins actives (Romm & Moallem, 2021). Ce miroir conceptuel permet de penser la capacité d’agir non pas malgré la vulnérabilité, mais à partir d’elle. En ce sens, les propositions de communication pourraient par exemple aborder la place de cette dialectique « vulnérabilité vs agentivité » dans le champ de l’action sociale et solidaire. Comment contribuer à soutenir les capacités d’agir, à se projeter, à faire du lien ? Comment cet objectif se traduit-il professionnellement dans le champ social et solidaire et dans les formes de mobilisation et d’engagement ?
Les propositions pourront par exemple aborder les dispositifs favorisant la participation et l’autonomisation des personnes accompagnées ; les tensions entre reconnaissance des identités et distance professionnelle ; les enjeux de co-construction des savoirs, de formation, ou de gouvernance inclusive ; les modèles de recherche-action engageant les publics dans la compréhension des vulnérabilités ; la place des recommandations éthiques dans la formation et de l’intervention, puis la transformation institutionnelle.
Propositions de communication
Les propositions peuvent, en plus des approches conceptuelles mentionnées ci-dessus, s’ancrer dans des études de terrain, des analyses historiques ou comparées, des approches interdisciplinaires en droit, économie, sociologie, science politique, ou encore proposer des analyses critiques sur les formes d’institutionnalisation et les enjeux de reconnaissance. Nous accueillons des contributions variées, qu’il s’agisse d’études empiriques, d’analyses théoriques ou de comparaisons internationales, dans des contextes urbains ou ruraux, ou au niveau international. Les perspectives interdisciplinaires (sociologie, droit, économie, science politique, etc.) sont particulièrement encouragées.
Modalités de soumission
Les propositions de communication (500 mots maximum) doivent être envoyées à contact@flepes.fr avant le 15 juillet 2025. Elles devront présenter le sujet général de la présentation et le champ problématique dans lequel il s’insère, ainsi qu’une brève bibliographie. De plus, elles indiqueront la manière dont le travail s’inscrit dans une ou plusieurs des questions ci-dessus, ou bien si elles en traitent d’autres complémentaires. Veuillez également indiquer si cette demande s’accompagne d’une demande de financement partielle. Le comité de sélection de la Flepes encourage les candidatures de membres de groupes sous-représentés.
Les communications sélectionnées seront présentées lors de l’événement de lancement de la Flepes le 16 octobre 2025, à Bourg-la-Reine, 43 boulevard du Maréchal Joffre, qui rassemblera chercheurs, praticiens et acteurs de terrain.
Références bibliographiques
Beck, U. (1986). La société du risque : Sur la voie d’une autre modernité (trad. fr. L. Bernardi). Paris: Aubier.
Brugère, F., & Laugier, S. (2011). Le souci des autres : éthique et politique du care. Paris : Éditions La Découverte.
Butler. (2004). Precarious Life: The Powers of Mourning and Violence, London :Verso.
Castel, R. (1995). Les métamorphoses de la question sociale : Une chronique du salariat. Paris : Fayard.
Garrau, M. (2018). Politiques de la vulnérabilité. CNRS éditions.
Gilligan, C. (1982). In a Different Voice: Psychological Theory and Women’s Development. Cambridge, MA : Harvard University Press.
Fraser, N. (2008). Repenser la justice. Paris : La Découverte.
Haesler, J.-P. (2001). Les sociétés de l’individualisation : Entre affirmation de soi et insécurité sociale. Paris : L’Harmattan.
Honneth, A. (1992). La lutte pour la reconnaissance. Paris : Éditions du Cerf.
Laugier, S. (2009). L’éthique du care. Paris: Presses Universitaires de France.
Lyotard, J.-F. (1979). La condition postmoderne : Rapport sur le savoir. Paris : Éditions de Minuit.
Mackenzie, C. (Ed.). (2014). Vulnerability: New essays in ethics and feminist philosophy. Oxford University Press.
Mackenzie, C., Rogers, W., & Dodds, S. (2014). Introduction: What is vulnerability and why does it matter for moral theory. Vulnerability: New essays in ethics and feminist philosophy, 1-29.
Nussbaum, M. 2013. Creating Capabilities: The Human Development Approach, Cambridge MA: Harvard University Press.
Garrau, M., & Le Goff, A. (2010). Care, justice et dépendance. Paris : Presses Universitaires de France.
Gayatri Chakravorty Spivak, Can the Subaltern Speak? (1988)
Joan Tronto (2012). Un monde vulnérable. Pour une politique du care. Paris : La Découverte.
Paugam, S. (1991). La disqualification sociale : Essai sur la nouvelle pauvreté. Paris : Presses Universitaires de France.
Romm, C. W. J. P., & Moallem, M. (2021). Reconceptualizing agency and vulnerability in social research. Journal of Human Rights and Social Work, 6(1), 3–11.
Sen, A. (1999). Development as Freedom. Oxford: Oxford University Press.